
[Focus] Coronavirus au Sénégal : Touba, le cocktail explosif !
Touba est une ville à surveiller de
très près, face à la progression communautaire du Covid-19. La capitale
du mouridisme a longtemps été un foyer de propagation des épidémies au
Sénégal.
À
la date du 22 mars 2020, le Sénégal compte 67 cas confirmés de
coronavirus, dont plus de la moitié est enregistrée à Touba. Une seule
personne a contaminé plus de 20 individus. Aujourd’hui, la situation est
assez critique, selon les autorités sanitaires avec 5 régions touchées
et la transmission communautaire qui gagne de l’ampleur. Malgré tout, à
Touba, épicentre de l’épidémie au Sénégal, on ne semble pas prendre la
pleine mesure du danger.
À
ce jour, il y a encore une partie de la population qui n’est toujours
pas convaincue de l’existence de la maladie dans le pays, encore moins à
Touba. Les sorties du chef de quartier de Darou Marnane et de certaines
célébrités mourides (Mbaye Pekh, Gana Masséré, Selbé Ndom…) constituent
des exemples patents.
Ce
qui est valable pour ces personnalités publiques l’est aussi pour des
milliers d’anonymes à Touba. Ils n’ont pas encore vu de malade,
disent-ils. Donc, ils ne peuvent pas y croire. Certains affirment même
que cette maison de “Modou-Modou” n’est qu’une vue de l’esprit.
D’où
le cri de détresse du gouverneur de Diourbel, Gorgui Mbaye. “La maladie
est bien présente à Touba, il faut que toute la population en soit
consciente”, a-t-il supplié, le 16 mars dernier, lors d’une campagne de
sensibilisation dans la ville de Cheikh Ahmadou Bamba.
Pour
l’ancien parlementaire Moustapha Diakhaté, la situation est à la fois
inquiétante et révoltante. “Les habitants, avec insouciance, continuent
de faire comme si de rien était en termes de rassemblements dans les
lieux publics tels que les mosquées, mausolées, cimetières, marchés,
rues, véhicules de transport en commun et aussi dans les cérémonies
familiales baptêmes, funéraires entre autres”, regrette-t-il dans une
publication sur sa page facebook datée du 20 mars.
D’où
l’appel de Diakhaté à un confinement de la ville. “Si on confinait
(sanitairement et sécuritairement) Touba, on protégerait mieux sa
population et le reste du Sénégal avec !”, a osé Diakhaté.
Ce que renseigne l’histoire des épidémies au Sénégal
Hier,
encore, à l’occasion du Kazu Rajab, certains fidèles ont fait le
déplacement à Touba. Ils se sont rendus au mausolée de Serigne Fallou,
contre toute indication des autorités sanitaires, mais aussi en foulant
au pied l’interdiction des rassemblements et autres manifestations. On
continue à serrer la main de l’autre, à la porter même au nez et à la
bouche, à échanger des gobelets de café Touba, sous prétexte que le
fondateur du mouridisme a formulé des prières pour la protection de la
ville.
Pourtant,
l’histoire des épidémies au Sénégal montre que Touba a toujours été un
foyer de propagation des maladies, surtout à la suite du grand magal.
Lors de l’épidémie de choléra de 2004-2005, la capitale du mouridisme a
été la zone la plus affectée.
“En
termes de répartition globale, sur les 11 régions du pays, Diourbel et
de Dakar ont notifié 66,6% des cas. Les 3 districts sanitaires les plus
touchés de la région de Diourbel sont : Touba (6841 cas), Mbacké (2646
cas) et Bambey (1567 cas)”, lit-on dans une publication intitulée “Le
choléra au Sénégal de 2004 à 2006 : les enseignements d’épidémies
successives”.
Choléra (2004-2005) : “Le taux d’attaque était au moins 3 fois plus élevé dans la région de Diourbel”
Durant
cette épidémie, 29 556 cas ont été recensés en 18 mois, selon les
auteurs de l’article susmentionné. Or, comme le montrent les chiffres en
haut, la région de Diourbel à elle seule concentre plus de 10 000 cas,
avec une forte prédominance à Touba. “Le taux d’attaque était au moins 3
fois plus élevé dans la région de Diourbel que dans les autres
régions”, confirme la publication.
La
prédominance de la maladie à Diourbel et Dakar s’explique, selon les
auteurs, par deux facteurs différents. Dans la capitale, la situation a
été aggravée par les inondations. Dans le Baol, par contre, ce sont les
manifestations religieuses.
Ce
qui n’est pas une première. Entre 1971 et 1973, le Sénégal avait connu
une épidémie de choléra. Mais comme en 2004, le scénario était presque
le même. En fait, la maladie a connu plusieurs phases dans son
évolution.
“Les
deux premières phases ont été alimentées par des foyers différents :
Dakar pour la première phase qui a été vite maîtrisée grâce à une
réaction rapide et adaptée des autorités et Touba pour la deuxième phase
a été d’une ampleur telle que les services sanitaires, déjà rudement
éprouvés par la première vague, ont été dépassés”, rappelle l’étude
ci-devant citée.
“Nous étions passés de 25 cas par jour, mais avec le pèlerinage, l’épidémie a connu une flambée”
Avec
Touba, le boom intervient très souvent après le grand magal. “La
célébration annuelle de cet événement constitue un risque d’explosion
épidémique récurrente…”, concluent les auteurs.
Cette
affirmation a été confirmée lors de l’épidémie de choléra de 1999. A
l’époque, le magal a eu lieu en fin mars. En avril, la situation s’est
dégradée. “Nous étions passés de 25 cas à un cas de choléra par jour
dans la ville de Touba, mais avec le pèlerinage, l’épidémie a connu une
flambée”, se plaignait Amadou Moustapha Sourang, alors médecin-chef du
district de Touba.
Même
si le grand magal n’est nullement comparable à aucun autre évènement de
la confrérie mouride, il n’en demeure pas moins que la prière du
vendredi 20 mars qui a connu une affluence plus importante que
n’ordinaire ainsi que le Kazu Rajab peuvent être de puissants vecteurs
pour le Covid-19.
À
ce tableau déjà inquiétant, s’ajoute l’alerte du sous-préfet de Ndam,
commune de Touba. “Depuis que la pandémie a commencé à prendre de
l’ampleur à Touba, nous recevons des appels de voisins qui nous
signalent l’arrivée d’émigrés qui viennent en cachette”, avoue Mansour
Diallo.
Acte et discours de Serigne Mountakha
L’autorité
se montre inquiétante quant aux conséquences de tels actes. “Si on se
cache et qu’on est porteur du virus, c’est grave parce qu’en phase
d’incubation, il ne se manifeste pas et au moment où il va être connu,
ce sera déjà trop tard puisqu’on aura contaminé beaucoup de personnes”,
se préoccupe-t-il.
Un
historien contacté par Seneweb souligne que la particularité de Touba
réside dans le fait, entre autres, qu’il y a beaucoup de migrants qui
quittent les zones rurales pour habiter dans la périphérie. Souvent
analphabètes, ils vivent dans des zones dépourvues de certaines
infrastructures de base. “Ce qui fait qu’il y a inégalité non seulement
devant la maladie et la mort, mais aussi devant le savoir”,
indique-t-il.
Malgré
tout, souligne cet historien, la communauté mouride est connue pour son
attachement aux directives du chef. Il suffit juste que le khalife
général indique le chemin pour que tout le monde se mette dans les
rangs.
Serigne
Mountakha avait déjà posé un premier jalon en mettant 200 millions dans
l’effort de guerre contre le coronavirus. Mais avec sa dernière sortie
vendredi dernier où il a déclaré que la maladie ne décide pas de tout,
il n’est pas certain que les talibés se sentent obligés à plus de
prudence.